Passer de l'autre côté
En fin de compte on ne sait d’où Jésus est parti et non plus très bien où il se rend, sinon qu’il paraît s’être éloigné de liens familiers, ce que pourrait traduire le fait d’être de l’autre côté de la mer (expression qui se retrouve 4 fois : Jean 6, 1. 17. 22. 25). Ce côté où la vie est inconnue, où il faut risquer. Comme passer de l’autre côté du miroir, au-delà des apparences. Voilà sans doute ce qui nous est demandé, au-delà des apparences de nous-mêmes comme de nos représentations de Dieu, afin d’espérer entrer pour de vrai dans l’amitié de Jésus, dans son écoute.
La foule est là, comme aux heures essentielles, telle l’entrée glorieuse à Jérusalem, juste avant la Passion. Jésus gravit la montagne, mémoire de celle où la loi fut donnée. Une foule qui paraît patiente, attentive. Sans raison apparente – nous ne sommes pas le soir et Jésus n’a pas guéri de nombreux malades – il exprime le souci de lui procurer du pain. Mais quel pain vraiment ? Car qu’est venue chercher cette foule qui, elle aussi, est passée de l’autre côté des apparences du monde, pour entendre la parole de vie ? C’est Simon qui, un peu plus tard, prononcera la réponse juste : « À qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jean 6, 68). Voilà alors ce que Jésus est venu offrir, par-delà les apparences, les paroles qui ne passent pas. Celles qui font vivre, inscrites en sa propre chair. Et c’est bien ce que confirment les « morceaux en surplus ». La foule a mangé à satiété, il n’est donc pas besoin de plus.
C’est alors autre chose qui est offert. Non un don supplémentaire, mais le cœur du don : sa signification elle-même, la vie de Dieu offerte en partage jusque dans la mort du Fils. Nous voilà au-delà des apparences, dans la vérité même : la véritable gloire sera celle de l’abaissement de Jésus afin d’être à la hauteur de l’homme humilié pour l’élever jusqu’à la joie que Dieu lui-même soit son compagnon.
« Le voyageur, épuisé par la nuit et qui demande du pain, en réalité désire l’aurore. Notre message éternel d’espérance, c’est que l’aurore viendra ! »Martin Luther KING (La force d’aimer, Casterman, 1964, p. 78-86)
Extrait de Marche dans la Bible (2018)
Soeur Véronique Margron