J’étais dans ma campagne, à cultiver la terre. Avec patience j’en arrachais les herbes, j’ôtais de tout mon champ et l’ivraie et la ronce. On m’avait dit un jour que viendrait à passer le maître, le jardinier. Sans relâche chaque jour j’aplanissais la route, j’épierrais le chemin. Chaque matin, sans faute, je guettais son passage. Je l’attendais ici dans le coin le plus noble de mon secret jardin. Le plus beau de moi-même, pour accueillir Jésus.
Mais en vain, malgré la peine, malgré le travail qui transforma un champ jadis bien bohème en jardin cultivé, où chaque plante taillée, chaque allée mesurée brillait d’une harmonie calculée et sereine… personne. J’avais fait de mon champ un jardin déserté, oasis inutile.
Alors, las, je décidais un soir d’aller voir dans les terres que depuis bien longtemps j’avais abandonnées. Les ronces et les rocailles, des oiseaux en batailles : un terrain oublié, que je croyais inculte, irrémédiablement. La part la plus sauvage du terrain de jachère dont j’avais hérité.
Mais quoi ! Sitôt descendu là je ne reconnus rien. Du blé avait poussé en généreuses gerbes. Des fleurs magnifiques mélangeaient à l’or pur leurs plus vives couleurs, le chant de mille oiseaux réjouissait l’oreille. Et sur l’étroit sentier sinuant dans les champs l’empreinte d’un homme agile n’ayant craint de semer sur la terre incertaine.
Frère Franck Dubois, Dominicain
Couvent de Saint Pierre Martyr à Strasbourg