Pâques : la résurrection, comment y croire ?
Denis Moreau et Guillaume de Fonclare viennent d’écrire chacun un livre sur la résurrection du Christ, célébrée à Pâques par les chrétiens. L’un y croit, l’autre aimerait y croire. Ils échangent leurs points de vue.
Recueilli par Bruno Bouvet et Clémence Houdaille, le 14/04/2022
L’enjeu
La résurrection du Christ a une place centrale dans la foi chrétienne et inspire les écrivains. À l’occasion de Pâques, nous avons souhaité faire dialoguer deux auteurs qui viennent de publier sur le sujet. Denis Moreau témoigne, dans un texte mêlant réflexions philosophiques et récits personnels, des épisodes éprouvants de l’existence et leur traversée, à la lumière de la foi et de l’espérance dans la résurrection. Guillaume de Fonclare évoque son attachement à Jésus, sa tristesse devant le tombeau vide et son incapacité à faire sienne la foi en la résurrection.
La Croix L’Hebdo : Selon diverses études, seule une moitié de personnes se déclarant catholiques croient à la résurrection du Christ, et l’on compte même un tiers de sceptiques parmi les pratiquants. Vous-mêmes croyants, vous avez l’un et l’autre un avis différent sur la question, que vous exposez chacun dans un livre. Que vous inspirent ces chiffres ?
Denis Moreau : C’est assez normal, il est difficile d’y croire. Je ne suis donc pas plus surpris que cela, étant entendu qu’il faudrait demander aux personnes interrogées ce qu’elles entendent par résurrection.
Guillaume de Fonclare : Cela rejoint mon expérience personnelle. Je connais un monsieur qui s’arrête plusieurs fois durant la récitation du Credo, faute de pouvoir dire certaines choses. Pour moi, la croyance en la résurrection n’est plus un marqueur de la foi. Je me considère cependant catholique. Je sais que la foi en la résurrection est fondamentale, j’ai donc l’habitude de me présenter comme un chrétien inachevé.
- M. : Qu’est-ce qu’être chrétien ? Quelqu’un qui écrit ce que vous dites sur Jésus-Christ est chrétien, me semble-t-il. Cela me rappelle un article que j’avais dû rédiger sur le sujet : je n’y suis pas vraiment arrivé. Il y a la définition sociologique – être baptisé –, mais tous les baptisés ne se considèrent pas comme chrétiens. Il est possible d’énumérer les articles de la foi et de voir ceux que l’on « coche » ou pas, mais ce n’est pas très convaincant. Je pense qu’il s’agit davantage de « croire en », dans le sens de « placer sa foi en Jésus-Christ » que de « croire que » …
Je me retrouve bien dans l’inaccompli, ou l’inachevé, je comprends très bien qu’on ait des difficultés. Quelques articles de foi me posent aussi problème, certains de ceux qui concernent Marie par exemple, mais je n’éprouve pas le besoin d’écrire dessus, ne serait-ce que pour ne pas troubler ceux qui y croient, et cela ne m’empêche pas de dormir. (S’adressant à Guillaume de Fonclare :) Quand je lis votre livre, je vous vois en chemin vers cela. Certaines pages sont assez poignantes, habitées par une certaine forme de tristesse de ne pas y arriver.
Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre la plume pour parler de votre rapport à la résurrection ?
- M. : C’est la conjonction de plusieurs moments existentiellement difficiles – des Vendredis saints qui ont appelé en moi l’envie de dimanches de Pâques – et l’adresse d’un lecteur.
- de F. : Alors que j’étais chroniqueur à La Croix, j’ai écrit un jour que j’étais un chrétien inaccompli, car je ne croyais pas à la résurrection. Cela m’a valu une volée de bois vert de certains lecteurs, mais aussi des lettres sur le thème : « Je suis content que vous en parliez car c’est aussi mon cas. » L’un de mes oncles, très croyant, m’a dit qu’il avait beaucoup de peine pour moi, car à, ses yeux, c’est le b.a.-ba du catholicisme. Mais pour moi, être chrétien, cela va au-delà de la foi en la résurrection.
- M. : C’est quand même ce qui singularise la vie de Jésus. S’il n’était pas réputé être ressuscité, je ne suis pas sûr qu’on s’en souviendrait aujourd’hui. Si on évacue cela, on perd quelque chose, me semble-t-il.
- de F. : Il est certain que sans la résurrection, il n’y aurait pas de christianisme.
L’un et l’autre, quelle a été votre évolution personnelle sur cette question ?
- M. : La foi, je suis tombé dedans quand j’étais petit. Entre 18 et 22 ans, j’ai fait une crise de foi légère. J’étudiais la philo, c’est normal que cela ait « frotté ». Le philosophe qui m’a ramené au christianisme est Descartes. La phrase de saint Paul « si le Christ n’est pas ressuscité, alors votre foi est vaine » a attiré mon attention sur le caractère central de l’affaire. Ensuite, j’ai vraiment senti la puissance de la foi en la résurrection dans certains moments douloureux ou tragiques de ma vie, des deuils… Mais il a fallu que j’attende 35-40 ans, et de vraies crises existentielles, pour sentir à quel point cela pouvait être important pour moi.
- de F. : J’ai été élevé d’abord dans la foi catholique, puis mes parents sont devenus protestants et j’ai suivi sans trop de difficultés. À la mort brutale de mon père, j’ai associé, de manière un peu inconsciente, des figures qui n’étaient pas associables : celle du Christ et celle de mon père. Après avoir découvert à la fin de l’adolescence que j’étais à côté de la plaque, il y a eu une rupture. J’ai longtemps été athée pratiquant, même virulent.
Puis les choses ont évolué. Il y a cinq-six ans, je suis parti faire une retraite de plusieurs semaines dans une maison d’écrivain, perdue sur les causses du Lot, pour écrire un livre sur Dieu. Carrément ! (Rires.) J’étais tout seul face à moi-même et à la nature. Et il s’est passé l’inverse de ce que je pensais : j’étais parti pour en découdre avec Dieu, j’ai été rattrapé… Quand je suis revenu, je n’étais pas le même sur le plan spirituel. Je ne suis plus l’agnostique borné qui considère tout cela comme des superstitions ou du paganisme. La question de la résurrection s’est posée assez vite. Et c’est là que j’ai perçu mes limites.
Vous ressentez un manque de ne pas y croire ?
- de F. : Oui, parce que c’est la base de la religion que je souhaite pratiquer : le Christ est le Messie, le fils de Dieu. Quand je vois comment vivent ceux qui y croient, cela peut m’interroger. Il y a, chez certains, quelque chose qui les éclaire, qui les anime. Moi, je ne me sens ni éclairé ni animé, même si j’ai la foi en quelque chose de plus grand que moi. Je connais des gens qui sont passés de « je ne crois pas » à « je crois », et leur vie a changé, ils ont changé. Ça m’interroge fortement. Quand vous croyez à la résurrection, des barrières s’écroulent, des limites tombent, quelque chose s’ouvre, qui transcende l’existence, qui transfigure aussi certainement. J’aimerais y croire, mais malgré tous mes efforts, cela ne vient pas. (Rires.)
- M. : Vous dites que vous croyez à la vie après la mort, quelle différence faites-vous avec la résurrection ?
- de F. : Je crois davantage à une survie de l’esprit, l’idée de la résurrection des corps m’est assez étrangère.
- M. : C’est amusant, parce que pour moi c’est l’inverse. L’idée d’une survie de l’esprit seul, c’est une position de philosophe, on la trouve chez les Grecs, chez Socrate. Mais j’ai toujours eu du mal à comprendre ce que cela signifiait car c’est quand même moi qui dois survivre. Si ce qui reste de moi, c’est un pur esprit, j’ai envie de dire : ce n’est pas moi.
- de F. : J’avoue que j’ai un rapport particulier au corps, il est plutôt encombrant du fait des problèmes de santé que j’ai pu traverser. L’idée que j’en sois un jour débarrassé me gêne moins. Dans le christianisme, il y a un certain nombre de valeurs dans lesquelles on peut se retrouver. Mais tout ne relève pas des valeurs, et ne pas y croire reste délicat. La figure de Jésus me porte, la fin de son parcours – en tout cas avant Pâques –, injuste et cruelle, touche ma sensibilité d’homme occidental moderne. Mais cela tient plus de la sensibilité que de l’intellect. Reste à savoir ce qui dans les Évangiles relève de sa figure, de la tradition…
- M. : Même en faisant l’hypothèse que la résurrection soit une supercherie complète, c’est au moins un coup de génie littéraire, les Évangiles ! Mais quand vous évoquez le vrai Jésus, par rapport à son portrait, c’est compliqué. La démarche historico-critique est arrivée peut-être au bout de ce qu’elle pouvait donner. Plus j’avance en âge et plus je suis touché par cette phrase : « Seigneur à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » Depuis trente-cinq ans que je fais de la philo, j’ai lu des tas de textes mais jamais rien d’aussi fort que le Sermon sur la montagne. Cela me touche, cela me nourrit.
N’y aurait-il pas une dimension de soutien psychologique dans le fait de croire à la résurrection ?
- M. : Avec le temps, je me situe dans une approche pragmatique de la foi. Oui, elle me console quand je vais mal et je l’assume. Cet argument critique me paraît faible. J’ai des fragilités, cela ne me gêne pas de reconnaître que j’ai besoin de béquilles. Je pense même que c’est une forme de sagesse de ma part. Comme dit saint Paul : « Ta force se déploie dans ma faiblesse. » J’oppose le défi lancé à Jésus en croix – « Sauve-toi toi-même » – au cri qui jaillit quand on ne va pas bien : « Sauve-nous, nous périssons. »
Vous employez souvent le mot « performatif » au sujet de la foi. Êtes-vous convaincu que croire change concrètement la vie ?
- M. : Le mot a été employé par le pape Benoît XVI, il ne faut pas me suspecter d’hétérodoxie ! (Rires.) C’est un énoncé qui s’accomplit en même temps qu’il est énoncé. La foi transforme la vie en même temps qu’elle est proclamée. Cela relève-t-il de la méthode Coué ? Non, mais c’est toute la question de la volonté de croire. Je n’ai pas la réponse. Si décision il y a, elle n’est cependant pas ponctuelle, elle se déploie dans le temps. Comme ma foi en la résurrection me rend heureux, cet état vient nourrir une espèce de bonne dynamique qui s’est enclenchée et qui s’entretient. Chez d’autres, elle peut être cassée, je le comprends bien, notamment après un drame personnel. La foi est une grâce, ce n’est pas nous qui décidons. Pourquoi certains l’ont-ils et d’autres non ? C’est un mystère. C’est aussi pour cela que ce n’est pas par ce genre de discussion que nous allons nous convaincre l’un l’autre.
- de F. : Non, mais ça peut éclairer le chemin.
- M. : En dernier recours, c’est quand même le bon Dieu qui va parachever le travail.
- de F. : Ah, c’est le mystère absolu, la question de la grâce. C’est un peu injuste quand même, de se dire que certains l’ont, d’autres pas. Ce n’est pas parce qu’un matin je vais me dire : allez, j’y crois… que le soir j’y croirai. Étant protestant en plus, c’est une vaste question !
- M. : Cependant, j’ai l’impression que beaucoup se représentent la grâce comme quelque chose qui tombe du ciel, comme Claudel derrière son pilier. Pourquoi pas, moi cela ne m’est jamais arrivé. Mais si, par grâce, on entend ce que Dieu nous donne et qui nous fait du bien, cela peut être un bon livre, un coucher de soleil, un moment passé à discuter avec des gens agréables, la terre qui craque au printemps.
- de F. : Je suis d’accord, le jaillissement du printemps c’est tout à fait exceptionnel, et cela revient tous les ans.
- M. : Cela a un côté résurrection…
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Les auteurs
Pâques : la résurrection, comment y croire ?
FRANCK FERVILLE pour la Croix L’Hebdo
Professeur d’histoire de la philosophie moderne et de philosophie de la religion à l’université de Nantes, Denis Moreau, ancien élève de l’École normale supérieure, est l’auteur de Résurrections. Traverser les nuits de nos vies (Seuil, 304 p., 22 €). Parmi son imposante bibliographie, on peut citer Mort, où est ta victoire ? (Bayard, 2017), Comment peut-on être catholique ? (Seuil, 2018).
Romancier et écrivain, lauréat du prix France Télévisions en 2010 et du prix Écritures et spiritualités en 2016, Guillaume de Fonclare, chroniqueur à La Croix de 2019 à 2021, est l’auteur d’Une foi inaccomplie (Bayard, 128 p., 14,90 €).