Communauté de Paroisses St. Gabriel Val de Sarre Nord

 

 

Joyeux Carême !

Une amie palestinienne est occupée à rédiger un message. Elle s’interrompt, me regarde et interroge : « Je peux écrire “Joyeux Carême !” ? » À brûle-pourpoint, j’ai répondu non. Un non de convention. Mais, bien sûr que oui, « Joyeux Carême ! »

Comment ne pas aimer cette période qui bouleverse les habitudes de toute la communauté ? J’aimais bien en France les soirées bols de riz. À cette rencontre hebdomadaire qui fait éventuellement expérimenter la faim, le christianisme en Orient oppose un changement de régime alimentaire radical, cinq jours sur sept. C’est que le jeûne dans la tradition orientale suppose la privation de viandes, d’œufs et de tous produits laitiers. Les directives spirituelles précisent que l’ascèse ne peut se faire qu’avec et sous le contrôle du père spirituel. Il ne s’agit donc pas de mourir de faim mais de faire l’expérience de la pauvreté.

Fèves, haricots, lentilles, légumes en tout genre s’invitent à la table à la place de choix, pour des mets certes « maigres » mais goûteux, comme le falafel, ces boulettes de pois chiches frites, le moujadara, un plat mélangeant le riz et les lentilles, accompagné d’oignons frits et d’une salade de tomates. C’est le moment de faire une cure de poisson avec la vedette locale, le Sultan Ibrahim (du rouget). Les desserts sont à l’unisson de la maigreur mais pas forcément du manque de calories et de goût ! Ce sont bien les finances qui profitent des changements alimentaires et l’argent épargné doit être donné aux pauvres.

Pendant ce temps pas comme les autres, on est aussi censé visiter discrètement les personnes isolées ou malades et se réconcilier avec ceux avec qui on serait en froid. Dans les rues des quartiers chrétiens se répandent des effluves d’encens et les fenêtres ouvertes laissent échapper les catéchèses ou liturgies en arabe diffusées sur les télévisions chrétiennes comme Coptic TV ou Noursat.

Surprise de la ville sainte : l’abondance de l’offre liturgique. Certes, la multitude des temps de prière a plus de succès auprès des religieux, moines, moniales, consacrés de toute sorte qu’auprès des laïcs et de leurs familles. Chez les catholiques, les franciscains se surpassent pour permettre de monter vers Pâques dans une pédagogie catéchétique d’exception. Chaque mercredi, ils proposent un pèlerinage dans un sanctuaire lié à la Passion, Dominus Flevit, Gethsémani, Flagellation, Béthanie, Lithostrotos. Et chaque samedi, ce sont toutes les Églises présentes au Saint-Sépulcre qui font, les unes après les autres, une entrée solennelle dans la basilique pour y célébrer offices et processions.

Plus nous nous approcherons de Pâques, plus l’ambiance se fera solennelle, les repas maigres plus frugaux, les rues plus parfumées. Et la foi des chrétiens transpirera avec la plus déconcertante des simplicités. J’en veux pour preuve cet ouvrier terrassier qui travaillait avec ses collègues. À mesure qu’avançaient les travaux, il déplaçait un vieux lecteur CD qui jouait le poignant récit de la Passion chanté par Fairouz, la voix du monde arabe. Le Carême était entré dans leur travail au point que les coups de pioche et les bruits de truelles eux-mêmes participaient de cette liturgie simple et paisiblement joyeuse de leur Carême.

Marie-Armelle Beaulieu, Rédactrice en chef de Terre sainte Magazine, à Jérusalem le 09/03/2022