Communauté de Paroisses St. Gabriel Val de Sarre Nord

 

 

La veuve de Naïm

« J’allais sans regarder, ses yeux s’étaient éteints. Et avec eux, le monde : quel jour étions-nous donc, quelle heure de la journée ? Une nuit infinie s’ouvrait là devant moi. Je ne voyais personne, car lui ne voyait plus. J’étais morte avec lui, nul n’osait me parler. La foule autour de moi m’entourait comme un mur, me soutenait à peine, me portait à moitié. La porte de la ville marquait l’ultime passage. Mon fils allait sortir, ne plus jamais entrer. Comment aurais-je la force de passer, tout à l’heure, la porte en l’autre sens ? Le bruit allait croissant, à mesure qu’approchait la terrible muraille, le cortège grossi par des passants curieux. Je voulais me terrer là, maintenant, mourir avec mon fils, m’emmurer avec lui. Me donner tout entière, pour ranimer sa vie.

Le silence un instant gagna tout alentour. Une voix : « ne pleure pas ». La première entendue depuis le drame cruel. Personne jusque-là n’avait osé briser mon mutisme obstiné. On eut dit que la mort était si contagieuse que j’en portais partout le funeste présage. Jésus franchit d’un pas le fossé redoutable qui s’était imposé entre moi et le monde. Achevant d’embrasser ma terrible amertume il saisit la litière où gisait mon malheur. Je compris sur le champ qu’il était avec moi, qu’il entrait dans mon deuil et jusque dans la mort où reposait mon fils. Lui seul avait forcé le seuil infranchissable. J’ouvrais enfin les yeux, la nuit était passée. »

 

Frère Franck Dubois

Dominicain

Couvent Saint Pierre martyr à Strasbourg