Communauté de Paroisses St. Gabriel Val de Sarre Nord

 

 

Il faut toujours passer par Marie, comme font les enfants quand ils se réfugient sous le manteau de leur mère. « Ne sais-tu pas que tu es dans le creux de mon manteau ? » dit la Vierge au petit Indien de Guadaloupé. La mère de Jésus était là (Jn 2, 1). Jean ne dit rien de plus que sa présence qui rayonne en silence, ce charme particulier des femmes quand leur beauté est la manifestation extérieure de leur bonté. Elle ne parle pas pour ne rien dire. Elle est comme l’âme des noces de Cana, nouvelle arche d’Alliance où sont unis pour toujours la terre et le ciel, Dieu et l’homme, l’Esprit et la chair.

Elle a cette clarté du regard qui voit tout, qui comprend tout, y compris les besoins les plus simples de ses enfants. « Il faut prendre soin des âmes mais ne pas oublier les corps qui les suivent », disait le cardinal Vingt-Trois à ses prêtres. L’Église est à l’image de Marie, qui en est sa parfaite icône. Elle doit être « une solide ménagère, solide et raisonnable », dit le curé de Torcy dans le Journal d’un curé de campagne, de Bernanos. La Vierge est une maîtresse de maison, pas un pieux fantôme éthéré à force d’un angélisme détaché des contingences terrestres. « Ils n’ont pas de vin », dit la mère des hommes. Elle a senti l’embarras des époux, le risque que la famille soit humiliée devant tous. Elle ne quémande rien, elle dit les choses simplement à celui qui peut tout. Elle ne prie pas pour elle, elle ne négocie pas avec Dieu. Il sait tout. Il faut être simple et dire les choses telles qu’elles sont. Car il veut que nous lui disions, que nous lui demandions, qu’on entre librement dans l’Alliance : « Frappez, on vous ouvrira » (Mt 7, 7).

Condamnés au vieillissement ?

Dans l’immense tableau de Véronèse, Les Noces de Cana, tout s’agite en tous sens. Au centre du tableau, les musiciens jouent, et sur la table, on voit un sablier où le sable coule, image du temps qui passe. Les convives sont-ils affairés sans rien faire (2 Th 3, 11), emportés par les vagues du temps qui passe ? « Sous le pont Mirabeau coule la Seine et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne ? » écrit Apollinaire. Quand auront éclaté les bulles de champagne, que restera-t-il de la joie des amants ? Nos unions de la terre sont-elles condamnées à un vieillissement inéluctable, à la lourdeur des habitudes, au vin qui vient toujours à manquer ? Sans le Christ, nos grands amours s’écroulent comme un château de sable et les aurores s’estompent au soir tombant, « Retiens la nuit, chante Johnny, avec toi elle paraît si belle. » Mais le drame de l’homme est de sentir filer la nuit et de voir fuir au petit matin blême la joie si courte d’un amour qui passe. « Encore un matin, chante Goldmann. Un matin pour rien… »

La confiance qui mène à l’amour

La prière de la Vierge, avare de mots mais lourde de sens, est celle de la confiance qui mène à l’amour. « Ils n’ont pas de vin » signifie : « L’heure est venue de manifester ta gloire, de conduire les unions passagères à l’Alliance nouvelle et éternelle ». Le Christ a bien compris le sens de cette parole. Le cœur du fils bat à l’unisson de celui de sa mère, la nouvelle Ève, la femme par qui le salut est entré dans le monde. La réponse du Seigneur semble pourtant décourageante. Littéralement, elle se traduit : « Femme, que se passe-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. » Que se passe-t-il sinon l’extraordinaire pouvoir d’intercession de Marie, qui le fait comme devancer son heure… La Vierge sait que son enfant va répondre et que d’une certaine manière, « il lui est soumis » (cf Lc 2, 51), lui qui règne sur toute choses. « Tout ce qu’il vous dira, faites-le », dit Marie aux serviteurs (Jn 2, 5), qui obéissent à l’absurdité apparente d’un ordre insensé. Alors, le Christ manifeste surabondamment sa gloire et l’eau des larmes et de la pénitence devient le vin de l’Alliance qui réjouit le cœur de l’homme (cf. Ps 103, 15). Voilà pourquoi il faut prier Marie. Parce qu’elle sait tout, parce qu’elle voit tout, parce que le Christ lui-même ne peut rien lui refuser.

Père Luc de Belleseize
Vicaire à la paroisse Saint-Vincent-de-Paul à Paris.