S’il est bien un trésor qui a traversé les siècles, c’est le Rosaire. Une prière qui est avant tout une méditation de l’Évangile.
Prier le Rosaire
par le frère Jean-Pierre Mérimée, o.p. Dominicain
C’est au deuxième livre des Rois (au chapitre 5), l’histoire de Naaman, commandant en chef des armées de Syrie. Il est couvert de lèpre. Il a entendu parler d’un prophète avec des pouvoirs extraordinaires, Élisée. Il va le consulter. Et il repart, furieux: pour guérir, le prophète lui a simplement conseillé d’aller se baigner dans le Jourdain. Comme s’il n’y avait pas en Syrie de grands fleuves, plus grands encore que ce Jourdain ! Sans l’insistance de ses serviteurs, cet important personnage, trouvant la démarche trop simple, n’aurait pas daigné faire le détour par le Jourdain, et n’aurait pas été guéri.
Quel rapport me direz-vous avec le Rosaire? Vous l’avez deviné: nous rêvons de remèdes extraordinaires pour soulager toutes les lèpres que nous traînons avec nous et autour de nous. Et nous avons à portée de main un remède simplissime : le Rosaire. Et nous l’ignorons. Pire, nous sommes souvent victimes de cette caricature tenace qui l’assimile à un rabachage de chapelets. Alors que c’est tout le contraire.
Il s’agit de contempler les grands moments de la vie du Christ, de les approfondir avec l’aide d’un feuillet mensuel, de creuser le sens du passage d’évangile qui s’y rapporte, de prier dans la compagnie de la Vierge Marie, en se plongeant dans ce fleuve de prières douces et fortes qui forment le « Réjouis-toi, Marie. » Une fois par mois, en équipe de quatre à dix personnes réunies à tour de rôle dans la maison de chacun, ils sont près de cent milles en France à goûter ce bonheur d’une amitié partagée, d’intentions de prières portées ensemble, d’une parole de foi nourricière.
Le Rosaire est une école de prière et de mise en œuvre concrète de la fraternité, car il ne suffit pas de prier. C’est une prière qui fait bloc avec le quotidien de nos jours. Une prière où tout commence par l’accueil. « Il me faut aujourd’hui demeurer chez toi » dit Jésus à Zachée (Luc 19, 5). Une prière qui nous enseigne tel ou tel aspect de la vie du Christ, choisi dans les événements joyeux, douloureux, glorieux, lumineux de sa vie.
Le Rosaire est une prière accessible au plus grand nombre. Elle reprend nos intentions, dans un partage, dans la plus grande liberté. En équipe, nous nous faisons l’amitié de confier à la prière commune ce qui fait notre joie ou notre tourment du moment, le nôtre et celui de tant d’autres autour de nous.
Le Rosaire c’est aussi une prière missionnaire : qu’est-ce à dire ? Cela veut dire une prière qui porte l’inquiétude du monde, et de là, n’est plus en repos tant qu’elle n’a pas touché celui qui est loin de notre Église, loin de la connaissance vraie de notre Seigneur Jésus, loin du partage fraternel. Il faut nous interroger en permanence sur notre ouverture à ce que vit l’homme ou la femme d’aujourd’hui, en particulier ceux qui sont dans les marges. L’Église fait un effort réel pour se mettre aux côtés de tous les laissés-pour-compte de notre société. Comment, à notre manière, ne pas participer à cet effort ?
Enfin, c’est une prière personnelle quotidienne. Une dizaine de chapelet récitée dans le secret par tous ceux qui ont dit oui à l’engagement dans une équipe du Rosaire. Ce rendez-vous quotidien demande peut-être de la patience avant de prendre sa place régulièrement dans l’emploi du temps de nos journées, avec la contrainte acceptée du calendrier des mystères organisé en équipe. Ce qui compte, ce n’est pas de fournir au jour dit la quantité de prière demandée, mais bien plutôt d’entrer toujours plus dans le bonheur de se plonger dans la lumière de chacun des mystères médités. C’est comme lorsqu’on prend un bain (voir Naaman), on commence par y mettre un orteil avant de s’y lancer d’un seul élan avec joie. Cela peut demander du temps.
Avec le Rosaire, croire et aimer : avec le Rosaire, j’apprends à croire qu’un amour fidèle m’accompagne, celui de Jésus pour moi et pour tous les hommes, dont la tendresse de Marie est le plein écho.
Avec le Rosaire, j’apprends à aimer comme Jésus nous a aimés, me mettant à son école, exigeante et légère à la fois en passant par le cœur de sa Mère, « qui gardait fidèlement tous ces souvenirs. » (Luc 2, 51).
Ah ! si le Rosaire pouvait nous aider à rendre notre cœur un peu amoureux de la manière que notre Dieu est amoureux de chacun de nous, à en mourir !
S’il est bien un trésor qui a traversé les siècles, c’est le Rosaire. Une prière qui est avant tout une méditation de l’Évangile.