Un magnifique texte de méditation de Paul Claudel dans Feuilles de saints, Gallimard, Paris, 32e édition, pp. 39 sq.

 Quand les outils sont rangés à leur place et que le travail du jour est fini, quand du Carmel au Jourdain Israël s'endort dans le blé et dans la nuit, comme jadis quand il était jeune garçon et qu'il commençait à faire trop sombre pour lire, Joseph entre dans la conversation de Dieu avec un grand soupir. Il a préféré la Sagesse et c'est elle qu'on lui amène pour l'épouser.
Il est silencieux comme la terre à l'heure de la rosée. Il est dans l'abondance et la nuit, il est bien avec la joie, il est bien avec la vérité. Marie est en sa possession et il l'entoure de tous côtés. Ce n'est pas en un seul jour qu'il a appris à ne plus être seul. Une femme a conquis chaque partie de ce cœur maintenant prudent et paternel. De nouveau il est dans le Paradis avec Ève !

Ce visage dont tous les hommes ont besoin, il se tourne avec amour et soumission vers Joseph. Ce n'est plus la même prière et ce n'est plus l'ancienne attente depuis qu'il sent comme un bras tout à coup sans haine l'appuiement de cet être profond et innocent.
Ce n'est plus la foi toute nue dans la nuit, c'est l'amour qui explique et qui opère. Joseph est avec Marie et Marie est avec le Père.

Et nous aussi, pour que Dieu enfin soit permis, dont les œuvres surpassent notre raison ; pour que sa lumière ne soit pas éteinte par notre lampe et sa parole par le bruit que nous faisons : pour que l'homme cesse, et pour que votre Règne arrive et pour que votre Volonté s'accomplisse, pour que nous retrouvions l'origine avec de profondes délices, pour que la mer s'apaise et pour que Marie commence, celle qui a la meilleure part et qui de l'antique Israël consomme la résistance, patriarche intérieur, Joseph, apprenez-nous le silence!

Paul Claudel