Sais-tu, oui tu le sais, combien tu as changé ma vie ? J’étais grimpé sur ce sycomore pour te voir. On ne parlait que de toi, le jeune prophète, le maître à l’enseignement surprenant, le messie peut-être. Toute la ville était dehors. J’ai quitté mon bureau, je me suis mêlé à la foule, mais, tu connais ces rassemblements, au troisième rang on ne voit déjà plus rien, surtout moi, qui suis de taille petite. Me voilà donc sur ce sycomore. Qu’est-ce qui m’a fait grimper là-haut ? Sait-on pourquoi l’on fait telle ou telle chose ?

J’étais curieux, bien sûr, comme les autres, de voir un peu à quoi tu ressemblais. Et j’entendais ce qu’on disait de toi et des tiens. On disait que parmi tes douze, il y avait un publicain, qui avait tout quitté pour te suivre. Un publicain ! Double surprise : qu’il ait quitté quoi que ce soit, et que tu l’aies accepté et même, paraît-il, appelé. Tu sais qui nous sommes et tu sais ce qu’on pense de nous : profiteurs, voleurs, vendus, traîtres, agents de l’occupant romain. Donc, il y avait de quoi songer. Peut-être au fond de moi rêvais-je que tu pourrais me respecter. Car nous sommes comme les autres hommes : ce que nous demandons d’abord, et qu’on donne si peu, c’est le respect. Donc, je suis sur mon arbre. Tu approches. Je te vois. On t’acclame. La cohue prend feu. Je te regarde, et ton visage me paraît grave et comme lointain. Et alors, il me semble que j’ai compris : tu sais ce qu’il y a en l’homme (cf. Jn 2, 25)

Maurice Bellet

Maurice Bellet (+2018) était prêtre, théologien et philosophe